« La guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch

Article : « La guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch
Crédit: L Comme Lecture
7 octobre 2022

« La guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945, ce conflit n’a cessé d’inspirer de nombreux auteurs. La réalité dépasse tant la fiction que les œuvres littéraires les plus remarquables de ce sombre moment dans l’histoire de l’humanité sont des histoires vécues. Du journal d’Anne Frank aux mémoires d’Albert Speer en passant par les récits de rescapés tels que Primo Levi et Simone Veil pour ne citer que ceux-là, on se demande si cette guerre a fini de livrer toute son horreur. Svetlana Alexievitch, écrivaine biélorusse dissidente, a choisi un volet très peu exploré dans les récits de guerre : la gent féminine. La guerre n’a pas un visage de femme est l’aboutissement d’un travail de sept années. L’auteure a donné la parole aux femmes soviétiques qui ont connu l’atrocité des champs de bataille. Sans mièvrerie aucune, ces morceaux de vie sont tout simplement bouleversants.

Pourquoi des femmes au front ?

Dans l’Union soviétique des années 40, la patrie était au-dessus de tout pour les “camarades”. Il n’était pas difficile de convaincre les hommes et les femmes de s’engager dans l’armée. C’est sans doute pourquoi on peut percevoir une certaine exaltation dans les propos de ces femmes qui, à peine sorties de l’enfance pour certaines préféraient aller au front plutôt qu’au bal. Cela dit, l’euphorie cède très vite aux tourments.

Elles ont dû affronter le déchirement de la séparation, la misogynie de l’armée rouge, la violence des champs de bataille, la douleur de la perte. En 1945, la guerre est finie. Celles qui témoignent sont donc vivantes. Elles sont malades, défigurées, amputées, seules avec les souvenirs traumatisants de la guerre. Mais sont-elles encore seulement des femmes ? Du moins la société les considère encore comme tel ? Pourront-elles continuer leur vie là où elles l’avaient laissé au début de la guerre ? Apprendre un métier, travailler, se marier, élever des enfants… Pour bon nombre d’entre elles, c’est une amère désillusion.

La guerre n’a pas un visage de femme est un livre remarquable à plusieurs égards. Dans un premier temps, c’est un essai qui ne parle pas de guerre finalement, mais d’humanité. L’œuvre est un condensé des sentiments de personnes ordinaires ayant vécu des événements extraordinaires. Ce qui rend cet essai documentaire précieux est que l’auteure a réussi à faire témoigner des profils très différents. Elles ont raconté la guerre en tant que soldats, en tant que femmes, en tant que mères. Ces femmes étaient tireur d’élite, chirurgien, tankiste, infirmière, agent de transmission, aide-soignante, résistante… Elles ont combattu avec bravoure et ténacité. Mais à la fin de la guerre, elles ont été les grandes oubliées du discours officiel.

© L Comme Lecture

Les oubliées de la “grande guerre patriotique”

Un homme qui a fait la guerre est un héros national. Ses blessures sont des témoignages de son courage et de sa bravoure. Le soldat est l’objet de tous les fantasmes. Sur les femmes, la société pose un regard différent. Personne ne veut pour épouse une femme tireur d’élite. Combattre aux côtés des hommes a valu à beaucoup d’entre elles d’être qualifiées de putain du front. D’autres encore estiment avoir perdu toute féminité à la guerre à la suite d’une amputation, d’une blessure défigurante ou de grand traumatisme. Il serait difficile de choisir un ou même deux de ces témoignages tant chacun d’eux est particulier.

Dans la plupart des récits, on sent une hésitation au début, une volonté de ne pas se souvenir, parce qu’en donnant la parole à ces femmes, Svetlana Alexievitch met fin à 40 ans de mutisme collectif. À ce propos, elle dira d’ailleurs « Elles se sont tues durant si longtemps que leur silence, lui aussi, s’est changé en histoire. »L’auteure poursuit son exploration de cette sombre période en mettant en lumière cette fois les enfants qui ont survécu dans l’essai Derniers témoins. Elle est récompensée du prix Nobel de la littérature en 2015 pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ».

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