« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee

Même si vous ne l’avez pas lu, vous en avez peut-être entendu parler. Au détour d’une conversation, dans un film, une série… Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee est un monument de la littérature américaine. Et pourtant la narratrice n’est qu’une gamine d’à peine six ans au début du récit. Qu’est ce qui fascine autant dans To kill the mockingbird*?

Une enfance à l’apparence insouciante

La jeune Scout a tout ce qu’il faut pour être heureuse. Elle ne s’en rend sans doute pas compte à ce moment, mais tout d’abord, elle est blanche. Ce qui est un privilège dans l’Alabama des années 30. Sa mère est morte quand elle avait deux ans. Mais à six ans avec son père avocat, qui lui pardonne facilement tout et un frère aîné des plus protecteurs, Scout est une petite fille épanouie. Que peut-elle donc bien avoir à raconter d’intéressant sur 316 pages ?

Très vite, on comprend que la jeune enfant ne se contente pas seulement de déguster la limonade de Calpurnia la gouvernante, et de suivre partout son frère Jem. Elle invente une vie à leur voisin reclus. Avec son ami Dill et son frère, elle imagine moult stratagèmes pour le faire sortir de chez lui. Scout vit dans l’insouciance. Mais cela ne l’empêche pas d’avoi, sur les adultes qui l’entoure, un regard candide et sans préjugés comme seul un enfant peut avoir.

La question raciale au coeur de l’oeuvre de Harper Lee

Avait-on besoin d’un procès aux États-Unis en 1930 pour décider du sort d’un noir accusé d’avoir violé une blanche ? Dans ce contexte, la présomption d’innocence n’existe pas. Atticus Finch, l’avocat commis d’office, “l’ami des noirs”, titre hautement préjudiciable à l’époque croit en l’innocence de son client. Il tient à le démontrer. Ses arguments ébranlent les convictions et les préjugés. Peut-être parce que c’est le récit d’une enfant, on se surprend à espérer comme Atticus, beaucoup plus que Tom Robinson, l’accusé qui dès le premier jour semble déjà résigné. Le récit du procès tient en haleine jusqu’au verdict. 

Dans cette société ségrégationniste, ce parti pris vaut tout de suite à Atticus et aux siens d’être mis au ban. La jeune Scout devra se défendre dans la cour de l’école des accusations telles que “Ton père défend les nègres”. Malgré le climat raciste, l’avocat veut pour ses enfants une éducation tolérante et bienveillante. 

– Ne dis pas nègre, Scout, c’est grossier.

– Mais Atticus, tout le monde dit ça à l’école ! 

– Désormais ce sera tout le monde sauf toi … tu ne comprendras jamais une personne tant que tu n’envisageras pas la situation de son point de vue… Ce n’est pas parce qu’on est battu d’avance qu’il ne faut pas essayer de gagner.

Bien que le livre mette en avant, entre autres l’injustice que subissent les noirs du simple fait de leur couleur de peau, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est aussi et surtout un plaidoyer pour la tolérance et le vivre ensemble.

Une sortie littéraire dans l’Amérique des années 60

Paru en 1960, au plus fort de la lutte pour les droits civiques au États-Unis, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a-t-il participé au changement des mentalités au sujet de la race? À sa manière peut-être. Il faut attendre encore quatre années pour l’adoption des lois civiques abolissant la ségrégation , le lynchage et autres formes de violences subies par les noirs. Cela dit, entre la théorie et la pratique, il subsiste un fossé. 

Le livre quant à lui n’a pas pris une ride avec les années.  Prix Pulitzer de la fiction en 1961, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est resté longtemps le seul livre écrit par Harper Lee. C’est un roman intemporel dont chaque lecteur se fait son opinion. Le parti pris de l’auteure d’ancrer son récit dans les yeux d’une petite fille est à mon avis ce qui sublime ce roman. S’il a une portée universelle aujourd’hui, c’est parce qu’en dépit des thèmes abordés, c’est avant tout une belle histoire d’humanité.

*Titre original