«L’énigme du retour» de Dany Laferrière

Article : «L’énigme du retour» de Dany Laferrière
Crédit: L Comme Lecture
21 octobre 2022

«L’énigme du retour» de Dany Laferrière

J’ai découvert Dany Laferrière avec son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Dans le contexte des années 80, les stéréotypes et clichés racistes étaient la norme. Nul doute que cette satire féroce a fait l’effet d’une bombe. Pour ma part, c’est une lecture qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. J’avoue avoir même boycotté les autres livres de l’auteur que je pouvais ensuite croiser. Mais, sur les conseils avisés d’un autre lecteur, j’ai décidé de lire L’énigme du retour. Bien m’en a pris. Entre onirisme et réalité, Dany Laferrière met son talent au service d’une histoire qui n’a besoin de rien d’autre. Toute personne qui a fait le choix de partir de son pays, de gré ou de force, se reconnaîtra forcément, à un moment ou à un autre, dans ce récit autobiographique.


Des nuits froides de Montréal à la chaleur étouffante de Port-au-Prince

À 23 ans, le narrateur a dû quitter Haïti. Son collègue et ami a été assassiné. Il était peut-être le prochain sur la liste. Il faut dire que sous le régime de Bébé Doc, surnom de Duvalier fils, le métier de journaliste était l’un des plus risqués à Haïti. Deux décennies avant lui, c’est son père qui se réfugie à New York pour échapper au régime oppressif de Duvalier père. À la mort de ce père qu’il a à peine connu, il revient sur ces terres d’où il est parti précipitamment 33 ans plus tôt. Il retrouve une mère résignée après le départ du mari et du fils. Il se sent étranger dans cette ville marquée par deux régimes dictatoriaux, la pauvreté et les gangs, alternative éphémère d’une jeunesse désœuvrée et désabusée.

Haïti, coucher de soleil. Crédit : Image par Stephanie Edwards de Pixabay 

Incipit de l’énigme du retour

La nouvelle coupe la nuit en deux.
L’appel téléphonique fatal que tout homme d’âge mûr reçoit un jour.
Mon père vient de mourir.

Danny Laferrière


La littérature est friande du sujet de l’exil et du retour souvent très compliqué, parfois douloureux, très rarement triomphal. Le narrateur choisit d’ailleurs de se faire accompagner par Aimé Césaire et son fameux Cahier d’un retour au pays natal. Rarement un titre n’aura été aussi bien en accord avec le contenu d’un livre. Le récit est sans filtre, laissant transparaître les émotions du narrateur à chaque étape. Ce père qu’il n’a presque pas connu, rendu fou par l’exil à New York, lui offre finalement l’occasion de faire ce nécessaire retour. Il ne peut s’empêcher de comparer Montréal et Port-au-Prince. Très souvent à la clé, une question en suspens pour le lecteur…

Dany Laferrière livre tout ce qu’il peut d’émotion, de souvenir dans L’énigme du retour. Pourtant, à la fin du roman, l’énigme reste entière. C’est d’ailleurs quelque peu réducteur de ranger ce livre dans la catégorie « roman ». En alternant paragraphes en prose et vers libres avec la gravité que requiert le sujet, l’auteur signe l’un des plus beaux livres de son catalogue. L’énigme du retour a reçu le prix Médicis en 2009.

Pour comprendre Haïti, il faut lire ses écrivains

Depuis plusieurs décennies, l’actualité d’Haïti tourne inlassablement autour des mêmes sujets : violence politique et sociale, faim, épidémies, catastrophes… Vous êtes peut-être déjà tombé sur un reportage qui alerte à propos de la situation sur cette île antillaise. Mais personne ne saisit mieux le problème d’Haïti que les Haïtiens eux-mêmes. Du moins, c’est mon sentiment, après plusieurs lectures marquantes comme Les villages de Dieu (2020) de Emmelie Prophète, Gouverneurs de la rosée (1944) de Jacques Roumain et Parabole du failli (2013) de Lyonel Trouillot. Peut-être que la solution ne peut venir que d’Haïti finalement. Dans L’énigme du retour, Dany Laferrière n’épargne pas au lecteur la situation catastrophique qui règne sur l’île. Une phrase la résume très bien :


Ici, on vit d’injustice et d’eau fraîche


Tout est dit !

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